« Un mur, quelques clous et du passage. »

« Il faudrait laisser des œuvres dans le coin, glisse André Rives, finalement c’est ici que Claude-Henry a rencontré son public. » Le décès du peintre implique le départ de ses tableaux pour Bruxelles, la capitale belge, où vit son fils et unique héritier, Jean-François Pollet. Or les amis de Claude-Henry, les amateurs de sa peinture, tous ceux qui ont partagé sa vie alors qu’il créait son œuvre, vivent sur la Rade de Toulon.

L’idée s’impose donc de laisser dans le Var une partie de l’œuvre via une donation. André, qui a travaillé dans plusieurs musées, mesure à quel point les dons sont précieux pour les institutions culturelles, qui enrichissent ainsi leurs collections. Il sait aussi combien les dons sont pléthores. Elles sont parfois utilisées par les familles pour se débarrasser de pièces encombrantes et inintéressantes : fossiles de pacotille accumulés par un oncle féru de paléontologie, tableaux peints par un aïeul que personne n’a le cœur de jeter. « Toutes les donations sont acceptées avec politesse, explique-t-il, et beaucoup sont discrètement évacuées en déchetterie. »

Il faut donc s’assurer que la municipalité veillera à valoriser sa collection en cas de donation. Raphaëlle Leguen, première adjointe au maire, qui fut proche de Claude-Henry, propose de formaliser la donation pour la municipalité. Ingénieure agronome de formation, la première adjointe est elle-même fille d’artiste, le céramiste Paul Frapolli. Celui-ci a, entre autres, décoré de ses céramiques un palais au Sénégal. D'une part, elle connaît les enjeux d’une donation et, d'autre part, elle maîtrise les arcanes de la vie municipale.

Jean-François Pollet fait une proposition de donation à la municipalité, sous condition que celle-ci développe une politique culturelle de valorisation. Le courrier précise : « Le nombre de tableaux repris dans la donation et leur identification seront déterminés par la précision de votre demande : propositions de lieux d’installation des œuvres, de leur valorisation, choix et argumentation du choix des œuvres. »

Le 12 mars 2013 après délibération, le conseil municipal accepte à l’unanimité la donation. La municipalité s’engage par convention à présenter les œuvres par rotation dans les différents espaces culturels de la ville mais aussi lors de manifestations culturelles. Elle s'engage de surcroît à créer un « catalogue à but scientifique par les soins de l’atelier ´´patrimoine`` de l’École des Beaux-Arts. ».

Les différents services municipaux sont consultés pour composer la donation. Elle comprend finalement 53 œuvres, réparties en 55 panneaux. En avril 2015, celle-ci sera enrichie de 3 autres tableaux, versé par Terre et Habitat, qui les avait reçu du vivant du peintre.

En septembre 2013, la municipalité voisine de Six-Fours-les-Plages accepte à son tour une donation de 16 tableaux. Ceux-ci sont exposés de manière permanente à l’étage de la Maison du Cygne, le centre d’art de la commune. Bordé d’un jardin remarquable qui comprend un potager, une roseraie et une collection d’intérêt botanique, le centre présente également de nombreuses sculptures.

Pour la donation, la Maison du Cygne a choisi seize œuvres « avec le souci de retracer les différentes périodes relatives au parcours de l’artiste défunt », précise Dominique Baviera, le directeur, lors de l’inauguration de la salle Claude-Henry Pollet.« Les pièces seront en permanence exposées ici (à la Maison du Cygne), poursuit le directeur, ou en d’autres lieux communaux, et feront l’objet d’une présentation auprès d’un large public. Elles pourront également être mises à disposition d’autres centres d’art ou d’autres collectivités. »

En 2014, la municipalité de La Seyne-sur-Mer édite « Le Musicien de la couleur », un catalogue de la donation. La publication en présente chaque pièce et comprend une analyse picturale particulièrement fouillée par André Rives. Ce dernier y évoque longuement son amitié avec le peintre.

La municipalité a créé également un Marathon Pollet, un parcours de découverte des œuvres exposées en divers espaces publics. Ce parcours d’une après-midi rappelle le Marathon artistique créé et animé 20 ans plus tôt par l’artiste, alors qu’il venait de débarquer à La Seyne (Voir Histoire 6: À gauche la Rade).

Une sélection d’œuvres est également exposée lors d’événements culturels. En décembre 2019, deux tableaux de la série « Le Temps des cerises » et le singulier « Tabernacle laïc », réalisé sur un fond d’armoire, ont été accrochés au Centre culturel Tisot.

Dans le catalogue « Le Musicien de la couleur », Jean-François Pollet rappelle un trait de caractère frappant de Claude-Henry : « Un mur, quelques clous (pour accrocher ses tableaux) et du passage suffisaient à faire le bonheur de mon père. J’imagine quelle serait sa joie s’il voyait qu’une partie de son œuvre est accessible à tous. »

Crédits photos

Champs de blé, Coupole du mausolée, Le temps des cerises, Picadilly Circus, Vert émeraude marais : D.R.

Grandes Herbes : Vincent Visette