• « Surtout on ne jette rien, ce qui ne convient pas, on le met de côté. »

    À son décès, Claude-Henry Pollet laisse un important fonds d’atelier. Pêle-mêle, on y trouve un fatras de tubes entamés, de pinceaux et couteaux maculés, de flacons de solvants, de chevalets de tous formats barbouillés de couleurs, des clous, des boulons ou encore quelques tournevis. Il y a également un amoncellement de tableaux inachevés, cassés ou partiellement découpés, car le peintre a prélevé des morceaux pour les introduire dans d’autres compositions. On trouve également des isorels à moitié peints ou des esquisses abandonnées après quelques traits. Il y a aussi des dessins industriels, des nus, quelques aquarelles. « Surtout on ne jette rien, lance André Rives, ce qui ne convient pas, on le met de côté, je m’en occuperai. » L’ami de Claude-Henry insiste pour se faire remettre le surplus de l'atelier. Pour lui, chaque pièce, même la plus insignifiante, peut être valorisée.

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  • Durant l’hiver 2012-2013, l’ancien collaborateur des musées de Toulon inspecte un à un les éléments qu’il a pu récolter et imagine pour chacun une manière de le valoriser. Il découpe les parties intéressantes de tableaux ratés, inachevés, cassés ou abîmés, pour lesquelles il imagine de nouvelles compositionsc qui seront ensuite encadrées pour reprendre une nouvelle vie. Il se plonge dans les collections dépareillées de dessins et d’esquisses crayonnées pour élaborer des séries cohérentes.

    Il fabrique un poinçon « Atelier Pollet », qu’il applique au verso de chaque pièce, et parachève la certification en ajoutant sa propre signature ainsi que celle du fils de son ami défunt, Jean-François Pollet. De ce rebut improbable de fonds d’atelier, André Rives tire 150 lots cohérents, de belles pièces proposées isolément ou bricoles assemblées en mini-collections significatives.

    Son intention est de vendre ces pièces aux enchères au bénéfice, comme le lui a suggéré son épouse Martine, du Secours populaire de la cité Berthe. Celui-ci soutient 850 familles dans le quartier. « C’est une association qui a pignon sur rue (...), explique-t-il à Var Matin. De plus, Claude-Henry Pollet s’était ému du fait que, lorsque le FN avait gagné la ville de Toulon, les subventions versées au Secours populaire avaient été coupées. »

    André Rives réserve la grande salle du Cercle des Travailleurs, située rue Lagane dans le centre de La Seyne, et annonce une vente publique du fonds d’atelier pour le 8 juin 2013. Il décompte ensuite les jours avec une pointe d’inquiétude.

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    Le jour dit, il voit avec soulagement la salle se remplir. Il endosse le rôle de commissaire-priseur. Martine tient le secrétariat, tandis que trois bénévoles du Secours populaire font défiler les pièces devant le public. Dans la salle, il y a des amis du peintre, dont Raphaëlle Leguen et Jean-Luc Bruno, des proches d’André Rives, des invités du Secours populaire et bien sûr quelques curieux. Il y aussi la journaliste Marielle Valmalette. Celle-ci note la petite foule, décrit l’ambiance chaleureuse, l’émotion du public qui se teinte parfois d’hilarité. Notamment lorsqu’une dame se reconnaît dans l’un des nus proposés à la vente ! Dans un mouvement aussi spontané que comique, la salle s’accorde pour offrir le tableau à l’ancienne modèle.

    Le lendemain, la journaliste titre son papier pour Var Matin « Énorme succès pour la vente des œuvres de Pollet ». Pour les participants, ce fut un moment singulier de recueillement et de convivialité. Une manière de dire au revoir avec élégance à Claude-Henry Pollet en se montrant solidaires des familles soutenues par le Secours populaire.

    Au terme de la vente, l’association empoche 17 300 euros, une somme rondelette qui sera investie dans l’achat d’une camionnette. L’incroyable succès de l’événement révèle la popularité de cet artiste devenu une figure familière de la vie seynoise. Il offre également une étonnante revanche posthume à un homme arrivé dix-neuf ans plus tôt avec pour unique bien quelques affaires glissées dans une valise. La vente du rebut d'atelier du peintre des fonds d’armoire et des chaises cassées, qui grattait parfois sur la nourriture pour acheter ses tubes de couleurs, laisse un magnifique chèque au bénéfice de l’association qui lutte contre la pauvreté dans son quartier.


    Crédits photos

    Les cinq images de la vente aux enchères sont de Jo Seghi/Secours populaire

Dire élégamment au revoir à un copain, La Seyne-sur-Mer, 2013