• « Je vais enfiler une cravate. »

    Au printemps 2003, Claude-Henry Pollet reçoit la visite d’Alain Rémond, journaliste aux hebdomadaires Marianne et Télérama. Le chroniqueur parisien débarque au quartier Berthe sur les conseils de Georges Loppart, ami du peintre qui lui donne souvent un coup de main pour monter ses expos.

    Autour du peintre s’est formé un groupe d’amis qui jouent parfois les mécènes, achetant des tableaux payés en mensualité. Cette dernière solution arrange tout le monde : les acheteurs étalent leurs payements, le peintre touche une petite rente qui améliore son ordinaire. Les mensualités lui garantissent aussi des visites périodiques qui diminuent son isolement. Quant à ses visiteurs, ils trouvent prétexte à se plonger dans l’univers particulier de cet homme qui les accueille avec chaleur.

    Ces visites permettent également aux amis de Claude-Henry de suivre les travaux du peintre qui lance une nouvelle série pratiquement tous les six mois. Beaucoup nourriront ainsi l’envie d’acheter le tableau suivant. « Il avait le contact facile, qui fait que l’on s’attachait à lui très vite, précise Georges Loppart, qui lui a acheté plusieurs huiles dont une  à l'occasion de l'anniversaire à son épouse, Maï Thé. Georges emmène également ses proches dans l’atelier, « Toute ma famille a acheté une œuvre », sourit-il.

    En ce printemps 2003, Georges qui s'improvise imprésario, traîne son ami Alain Rémond  dans l’atelier de Claude-Henry. La rencontre est un choc, pour le journaliste, comme pour le peintre.

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    Alain Rémond (à droite) avec quelques amis, dont Georges Loppart (derrière le journaliste) et Maï Thé Loppart (à gauche de Claude-Henry).
    Crédit : D.R.
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    Ocre, série Georges, huile sur isorel, 92*86 cm, nommé en référence à son ami Georges Loppart.

    Dire la beauté et le mystère du monde

    Le cadre de vie de Claude-Henry est singulier. La Banane, barre de HLM en forme de courbe, emblématique du quartier où il est installé, n’est pas des plus conviviales. Construit en 1956 pour loger les familles ouvrières de La Seyne, l’immeuble vit mal l’épreuve du temps. La peinture s’écaille, des fissures lézardent les murs qui sont également striés de coulées jaunes laissées par d’anciennes fuites d’eau. Les appartements sont de petits duplex que l’on rejoint par des coursives extérieures. À l’arrière, les logements sont bordés de grandes terrasses. Le jeu des coursives et terrasses apportent une touche chaleureuse au bâtiment, mais celle-ci est anéantie par l’absence de vie au rez-de-chaussée, entièrement réservé aux locaux techniques. Ce vide ajoute une touche d'insécurité à l’austérité de la Banane.

  • Par ailleurs, le bâtiment rongé par la corrosion menace de libérer la charge en amiante de sa structure. Depuis plusieurs années déjà, les appartements inoccupés ne sont plus reloués. Claude-Henry est devenu l’unique habitant de sa coursive, qui compte 6 appartements. Cela lui donne d'ailleurs l'opportunité de louer un second appartement, où il installe son atelier et dépose ses tableaux.

  • Le contraste entre la désolation du cadre de vie et la joyeuse élégance des tableaux n’échappe pas à Alain Rémond qui se dit « ensorcelé ». Claude-Henry, qui le reçoit torse nu comme à son habitude, propose en plaisantant d’aller « enfiler une cravate », avant de revenir vêtu d’une chemise. Le journaliste inspecte alors des dizaines de tableaux, dispersés dans les deux duplex. Il passe de terrasse en terrasse, grimpe des escaliers. « À la fin de la visite, écrit-il, on ne sait plus où l’on est allé, dans quelle pièce, dans quel grenier on a découvert une œuvre. »

    Claude-Henry lui raconte sa vie d’artiste, ses errances, son goût pour Bonnard, Gauguin et Monet. Il vante ses explorations autour des couleurs, ses recherches sur le bleu de Prusse, le vert, celui « qui reste au fond de l’œil ». Alain Rémond note aussi l’abondance des tableaux, l’anarchie indescriptible de leur amoncellement, s’étonne des volets toujours baissés par sécurité ou de l’usage de matériaux de récupération : plaques d’Isorel, portes, têtes de lit, cadres maisons fabriqués avec des planches peintes...

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    Tête de lit, huile sur bois, 150*37 cm
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    Dubuffet hall, huile sur isorel, 110*100 cm

    Les deux hommes se plaisent. Alain Rémond rapporte cette rencontre dans sa chronique qui paraît dans le numéro de Marianne du 16 au 22 juin 2003. Sur une pleine page, il raconte le choc de cette peinture qui irradie dans le déni de son environnement. Une peinture qui « ne représente pas le monde autour de nous, écrit-il. Mais elle dit si fortement, si intensément la beauté, le mystère de ce monde, qu’on en est comme submergé. » Avant de conclure. « Dehors, on voit le monde avec ses yeux. »

    Ce bel article, long et flatteur, touche profondément Claude-Henry. Il est également heureux de décrocher une page entière consacrée à son travail dans un hebdomadaire national. Il dévalise bien entendu son libraire de tous les magazines disponibles pour les faire circuler autour de lui. Il fera réaliser un agrandissement plastifié de l’article. Désormais, il accompagnera toutes ses expositions, accroché en bonne place à côté de la traduction de l’allocution prononcée l'année d'avant par le docteur Greta Bauer à Lüdinghausen.


    Vous pouvez lire l'intégralité de l'article d'Alain Rémond en cliquant ici https://www.claudehenrypollet.com/catalogues. Puis sur "Presse"

    Crédits photos

    Annecy 2, Ocre, Tête de lit, Dubuffet hall : Cyrus Pâques​

    Alain Rémond avec quelques amis : D.R.

Alain Rémond voit le monde avec ses yeux, quartier Berthe, 2003