• « Un groupe d’amis m’a chargé de venir voir comment Claude-Henry se débrouille. »

    L’arrière-saison est belle à Lüdinghausen. Cette coquette ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie est réputée pour son château entouré de douves profondes. Claude-Henry Pollet débarque, à l’automne 2002, dans cet édifice de la renaissance allemande à l’invitation du centre culturel local, le Kaktus, pour y accrocher ses tableaux.

    La préparation de l'exposition est laborieuse. Le Kaktus, qui veut confectionner un dossier de presse, réclame une documentation fouillée : CV détaillé, présentations écrite et visuelle des œuvres, avec photos et vidéo à l’appui. Il faut aussi organiser l’expédition de 60 tableaux à 1 600 kilomètres de Toulon et en assurer le financement. C'est une lourde tâche pour quelqu’un qui a passé la soixantaine depuis un bon moment déjà et ne dispose que d'un petit budget. Qu’importe, Claude-Henry est porté par la perspective d’exposer à l’étranger, d’autant que d’autres opportunités s’esquissent.

    À La Seyne, il loue un garage où il fabrique, avec l’aide de son ami Georges Loppart, trois énormes caisses en robustes panneaux d'OSB, dans lesquelles il glisse ses toiles emballées dans du papier à bulles. La cargaison qui frôle la demi-tonne part en Allemagne en camion de déménagement tandis que lui fait le voyage en train. Ses problèmes à l’oreille le font souffrir durant les longs trajets en voiture.

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    Préparation des caisses d’expédition.
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    Benedikt Schneide, violoncelliste alto.

    Il ne trouve pas, il cherche

    Cette exposition fait suite à celle de Draguignan où il a rencontré Renate, la responsable du Kaktus qui l’a invité en Allemagne. Le peintre est désormais entouré d’un groupe d’amis qui suivent ses expositions avec curiosité et l'aident parfois à accrocher ses tableaux sur de lointaines cimaises. C’est le cas de Georges Loppart, directeur d’un centre médico-psychiatrique de Toulon, qui fait le voyage à Lüdinghausen pour donner un coup de main. « Des copains, glisse-t-il en rigolant, m’ont chargé de venir voir comment Claude-Henry se débrouille. »

    Le cadre est magnifique et le vernissage, qui se tient le 15 septembre, très soigné. Le drink de vins locaux (pinot noir, müller-thurgau, régent) est accompagné d’un petit concert du violoncelliste alto Benedikt Schneide, suivi d’une analyse picturale des tableaux par une historienne de l’art, le docteur Gerta Bauer. Claude-Henry fera par la suite traduire cette allocution et reproduira le texte sur de grands panneaux qu’il accrochera dans toutes ses expositions.

  • À propos des œuvres de Pollet, Gerta Bauer remarque : « Il faut se défaire de l’idée que le tableau forme une unité en soi. Son style n’est pas uniforme, il balance entre abstraction et matérialité stylisée, entre rigueur géométrique et liberté du geste. » Des couleurs vives et des formes enchevêtrées qui s’ajustent avec élégance, elle note : « Des traits enivrants (...) Des œuvres fortement animées. » Et de l’homme, l’historienne de l’art précise qu’il « veut la diversité, l’inquiétude de la recherche, du combat. Non l’arrivée, mais le cheminement, l’histoire sans fin, l’histoire humaine, ce qui importe. Il ne trouve pas, il cherche. C’est en cela qu’il est conséquent. »

    La plupart des tableaux que propose aujourd’hui Claude-Henry sont bordés de gros cadres qu’il réalise lui-même, selon une pratique testée pour Tamaris Pacha. « Il peint le tableau dans le tableau, souligne encore Gerta Bauer, le cadre même dans le tableau. »

    L’artiste-ébéniste a réalisé, cette fois, des cadres gris et blancs, parfois très élaborés, avec différents niveaux de relief, qui doublent la surface de l’œuvre. Ses tableaux s’apparentent alors à des assemblages de planches peintes, ajustés par des vis et des clous. Malgré le renfort de croisillons, ces ensembles se disloquent parfois après leur manipulation. Claude-Henry réagit dans ce cas le plus simplement du monde : il sort un tournevis et resserre ses montages. Si nécessaire, il les redresse de quelques coups de marteau, une pratique qui ne cesse d’étonner son ami Georges.

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    Analyse de l’oeuvre par Gerta Bauer.
  • L’exposition dure six semaines, du 15 septembre au 27 octobre 2002. Claude-Henry reste les deux premières semaines dans la petite ville, sympathisant avec les visiteurs de l’expo et les responsables du centre culturel. Il ne parle pas l'allemand mais maîtrise le flamand une langue proche, ce qui lui permet d’établir aisément la communication. Il ne vend cependant aucun tableau. « En rentrant, confiera-t-il plus tard, j’étais fauché, comme je ne l’avais jamais été. »

    Par chance, un industriel allemand convaincu par Jean-Claude Cazaux, un ami rencontré à Toulon et futur galeriste à Biarritz, fera le voyage jusqu’à Lüdinghausen et lui prendra une belle œuvre à un prix qui couvrira finalement les frais de l’expédition en Allemagne.

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    Lüdinghausen, septembre 2002.

    Plus loin à l’Est

    L’exposition à Lüdinghausen était un compromis, un arbitrage qu’il pouvait financer de sa poche dans un projet initialement beaucoup plus vaste.

    Dans un premier scénario, l’expédition en Allemagne était la première étape d’un voyage beaucoup plus loin vers le Nord et l’Est, passant par la Pologne, la Russie, la Géorgie et l’Arménie, soit un périple de 6 000 kilomètres dans différents pays satellites de l’ancien bloc soviétique.

    Le peintre parle souvent de ce projet et y investit beaucoup d’énergie. « Claude-Henry était très fier à l’idée d’exposer dans les musées de l’Est, se rappelle Georges Loppart. Il parlait d’ailleurs de ´musées populaires`. Il entretenait une relation étroite avec le monde du travail et était heureux de participer avec ses toiles à un univers qui valorise le labeur, et même le communisme. » Claude-Henry ne s’est d’ailleurs jamais séparé d’une reproduction miniature en bronze, sortie de son atelier affirme-t-il, des quatre reliefs du monument au Travail, de Bruxelles. Implanté dans un square qui borde le canal, cet ensemble est l’une des œuvres les plus connues de Constantin Meunier, qui fut à la sculpture ce que son ami Zola incarnait en littérature.

  • L’ambitieux projet oriental élaboré par Claude-Henry a démarré trois ans plus tôt, en marge de l’exposition au musée de Toulon. Tatyana Suvorova, directrice adjointe du Kaliningrad State Art Gallery, visite son atelier à la Cité Berthe et l’invite à exposer dans cette ville russe enclavée au nord de la Lituanie. Chargée d'histoire, Königsberg, de son ancien nom allemand, fut notamment la ville natale de Kant. Tatyana Suvorova envisage une exposition dans la prestigieuse cité entre novembre 2002 et janvier 2003.

    Une autre visiteuse, une Polonaise prénommée Ella, également passée par son atelier, lui propose de venir à Gdansk, la ville industrielle polonaise, où elle réside. Dans différents courriers, elle évoque plusieurs lieux d’exposition : le manoir Sierakowski, à Sopot, en banlieue de la ville navale, le Punkt Gallery, ou même le National Museum (Muzeum Narodowe w Gdańsku). L’invitation en Allemagne viendra, quant à elle, l’année suivante, lors de l’exposition à Draguignan.

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    Lüdinghausen, septembre 2002.
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    Lüdinghausen, septembre 2002.

    Lüdinghausen, Gdansk, Kaliningrad... Un itinéraire semble alors se dessiner, chaque ville s’égrenant vers le Nord, tandis que les dates se succèdent en bon ordre : octobre en Allemagne, la Russie et Kaliningrad entre novembre 2002 et janvier 2003, comme le lui propose Tatyana Suvorova. Quant à Gdansk en Pologne, le grand nombre d’adresses fournies par Ella laisse l’agenda très ouvert.

    Dans la foulée, Claude-Henry prend des contacts, via l’ambassade de Belgique, avec le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, question de pousser son expédition encore un peu plus au nord. Il envisage de monter une caravane qui relierait les quatre villes, avant de poursuivre vers Erevan en Arménie, via Tbilissi en Géorgie. Un projet de deux ans. Le tout est de trouver des financements. Il estime le coût à 650 000 francs belges (un peu plus de 16 000 euros). Il sollicite pour cela la Communauté française de Belgique (l’institution fédérée belge francophone responsable des matières culturelles) à laquelle il propose d’échanger des tableaux contre le financement de la caravane. Dans un courrier, il argumente : « Mon travail se trouve être classé dans une école post-Poliakoff et post-Esteve, c’est-à-dire 1975-1985, par les responsables de l’Est qui me semblent très demandeurs. Le projet consiste à constituer une caravane de 60 tableaux. »

  • La Belgique lui refuse cependant le financement, notamment parce qu’il vit à l’étranger, et le renvoie au ministère français de la Culture. Il se résout à n'expédier ses tableaux qu'à Ludinghausen sans, pour l’instant, pousser plus loin l’expérience.

    Plusieurs années encore, il s’accrochera à son projet de caravane au travers de l’Europe du Nord et de l’Est. Il cherchera des financements et entretiendra soigneusement ses contacts en ex-URSS. Jusqu’au jour où il lâchera, sans plus de commentaire : « Je n’irai pas à Kaliningrad », et ne parlera plus jamais de ce projet.


    Crédits photos

    Château de Lüdinghausen, Préparation des caisses, Benedikt Schneide, Analyse de l’oeuvre, Septembre 2002 (3 fois) : Georges Loppart

Lüdinghausen et peut-être plus loin à l’Est, Allemagne 2002