• « Composer une symphonie, et non un simple concerto. »

    Après la Villa Tamaris, Claude-Henry Pollet enchaîne les expositions. En mai 1998, il accroche quelques tableaux dans un local commercial de Lagoubran, à l’ouest de Toulon. Au même moment, il  présente une douzaine d’huiles aux Trois Océans, un restaurant à finalité sociale, installé dans le piétonnier du centre, juste derrière l’hôtel de ville de Toulon. Il y montre des abstraits marqués par les rouges et les jaunes, deux couleurs, dit-il, qu’il a mis des années à mettre au point. « L’abstrait est un aboutissement, explique-t-il avec lyrisme à un journaliste, une somme d’heures passées à peindre, d’apprentissage, de maîtrise. L’abstrait est un pur plaisir, il s’agit de composer une symphonie, et non un concerto. »

    Il renoue au travers de cette expo avec son goût pour les expériences alternatives et trouve dans le nom du restaurant l’inspiration d’une belle marine : un océan, brisé en trois tiers, qui s’agite sous un ciel lourd. Il teste une nouvelle fois l’idée de la clef de voûte et de la ligne brisée. Cette esthétique lui inspirera dix ans plus tard le « Délaissement des ténèbres », sa sculpture monumentale. Il signe ce tableau et précise une date - 1996 - soit deux années avant son exposition aux Trois Océans. S'agit-il d'une distraction ou était-il en contact avec l’entreprise sociale depuis longtemps ? Nous n'en savons pas assez pour trancher.

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    Les trois Océans, huile sur isorel, 113*78 cm, tableau signé et daté
  • Un peu de métal, du rugby et la kalachnikov

    Comme souvent, Claude-Henry tourne autour de son exposition et passe aussi souvent que possible prendre un repas aux Trois Océans. D’autant que la table est bonne et l’accueil chaleureux.

    Un beau jour à midi, un grand gaillard vient également prendre son repas dans cet établissement bon marché, situé à dix minutes à pied du Musée d’art de Toulon, où il exerce les fonctions de directeur administratif. André Rives se souvient avoir été tout de suite intrigué par les « magnifiques toiles, colorées et lumineuses » qui viennent d’être accrochées (1). Alors qu’il bombarde la patronne de questions, celle-ci lui montre du doigt l’artiste qui est justement en train de déjeuner. Il s’installe à sa table, noue la conversation et bien vite se fait inviter à visiter l’atelier.

    André Rives a un parcours sinueux qui l’a conduit à exercer de nombreux métiers. Ouvrier chaudronnier à 18 ans à l'arsenal de Toulon, il intègre ensuite l’équipe de rugby de Romans-sur-Isère, dans la Drôme. Autour de la trentaine, il est animateur socioéducatif à la Mairie de Toulon quand il prend un congé d'un an et va soutenir la jeune révolution sandiniste au Nicaragua avec l'organisation de brigades internationales de travail. Au retour, il réintègre les services municipaux de la ville. Quand il rencontre Claude-Henry au printemps 1998, il travaille au Musée d’art de Toulon.

    André Rives se rend dans l’atelier et découvre, précise-t-il, « des centaines de tableaux peints sur des panneaux d’Isorel, des portes en bois, des têtes de lit et des façades d’armoire, mais aussi des centaines de dessins, des nus, des plans d’architecte, des bandes dessinées, des aquarelles de paysage, le tout entassé dans un désordre indescriptible dans toutes les pièces des deux appartements que le service HLM de la Ville lui avait octroyés. Ce fut un choc. »

    Le lendemain, André Rives, convaincu d’avoir trouvé un peintre de grand talent, revient accompagné de sa patronne, Brigitte Gaillard, conservateur du Musée d’art de Toulon. Tout autant conquise par le peintre, elle est stupéfiée par le contraste entre la joie qui émane de sa peinture et la désolation de son cadre de vie. « Votre peinture est gaie, lui lance-t-elle, lumineuse, colorée, mais pas forcément le reflet de votre intérieur. » (2)

    Un accord se dégage aussitôt : le musée présentera ses œuvres, en duo avec un autre peintre que le musée a également repéré. L’artiste parisien Camille Fourès présente un profil similaire à celui de Claude-Henry : même génération, même goût pour l’abstraction, même origine septentrionale. Brigitte Gaillard voit des complémentarités entre les deux hommes. Elle qualifie Camille Fourès de « penseur, immergé dans son époque ». Diplômé de l’académie, il a complété sa formation à la Sorbonne, en section d’Histoire de l’Art et de la Philosophie. Claude-Henry, lui, est qualifié de « technicien, sûr de lui ». Tous deux font leur première apparition dans un musée.

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    Tombeau d'Allende, huile sur isorel, 78*79 cm

    Développements comiques

    À ce moment, la mairie de Toulon est tenue par Jean-Marie Le Chevallier, l’un des trois frontistes élus aux municipales de 1995. Pour marquer ses distances avec l’équipe municipale, Claude-Henry rebaptise ses tableaux au gré de son humeur. Ainsi apparaîssent « Le temps des cerises », du nom de la chanson révolutionnaire, écrite en Belgique, associée à la Commune de Paris de 1871, ou encore « Le tombeau d’Allende ».

    Ces nouvelles appellations connaîtront parfois des développements comiques. Ainsi, le tableau d’un marronnier réalisé dans le jardin du Las à Toulon sera acquis par la ville voisine de Six-Fours-les-Plages. Celle-ci l’inscrira à son très officiel inventaire du patrimoine sous le nom de « Mègre marronnier (sic !), parc de Toulon - série Crépuscule des Connards ».

    L’exposition toulonnaise se tient du 10 juin au 17 octobre 1999. À nouveau, le coloriste se rend chaque jour au musée. Il s’assied et attend les visiteurs dont il guette les réactions. André Rives apprécie cette présence qui permet au public de rencontrer le peintre. Des classes entières d'élèves passent parfois au musée avec leur professeur. Claude-Henry se campe alors devant son gigantesque tableau « Hautes herbes », en cinq panneaux, pour expliquer sa composition aux écoliers. À un journaliste qui passe, il se définit comme « janséniste jubilatoire », pour expliquer en quoi la rigueur de sa démarche s'unit à sa volonté de produire une peinture ludique.

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    Musée de Toulon.
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    Musée de Toulon.
  • Comme toujours, il réclame et distribue des cartes de visite. Cette exposition garnira considérablement son agenda de contacts déterminants pour les années suivantes. « Il a des amis, écrit André Rives. Des contacts avec des galeries et les visites de son atelier se multiplient. Il passe ses journées enfermé à y peindre. »

    Après l’exposition, André et Claude-Henry se revoient régulièrement. Entre eux se noue une amitié profonde.


    Notes

    1. Claude-Henry Pollet ou le musicien de la couleur [53 œuvres de la donation Claude-Henry Pollet à la ville de La Seyne-sur-Mer], sous la dir. de Béatrice Tisserand, collab. de André Rives, La Seyne-sur-Mer, Maison du patrimoine, 2016.

    2. Brigitte Gaillard, Pollet- Fourès, Deux parcours contemporains [Exposition, Musée d’art de Toulon, 10 juin-17 octobre 1999], Toulon, 1999 (OCLC 496737527).

    Crédits photos

    Le temps des cerises, Les trois Océans, Tombeau d'Allende : Cyrus Pâques​

    Deux images Musée de Toulon : D.R.

Le temps des cerises et des musées, Toulon 1999