• « Allez trouver votre boulanger, votre coiffeur, votre boucher et exposez ! »

    Fin 1996, Claude-Henry s’installe à La Seyne-sur-Mer, dans le quartier Berthe, dans un petit duplex de la Banane, une barre de HLM dont la courbure a inspiré le nom.

    Avec plus de 60 000 habitants, La Seyne-sur-Mer est la seconde municipalité du département, après Toulon, ville voisine, accrochée à la même Rade. Les deux villes sont tout à la fois opposées et complémentaires. À l'est, Toulon est la métropole militaire, siège de l’arsenal et de la base navale de Méditerranée, premier port de défense d'Europe. À l’ouest, La Seyne est la cité civile, berceau des chantiers navals, qui employaient 5 000 personnes à leur apogée des années 70, et d’une intense activité piscicole, dont la production des réputées huîtres de Tamaris.

    Avec sa forte population ouvrière, La Seyne représente, à sa façon, la ceinture rouge de Toulon-la-bourgeoise. La municipalité, tenue la plupart du temps par la gauche, crée à la fin des années 50 un important parc HLM, destiné à offrir des logements de qualité aux habitants de cette ville particulièrement touchée par les bombardements de la guerre.

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    Sans titre, huile sur isorel, 55*75 cm
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    Plan du premier marathon artistique par Claude-Henry Pollet.

    Claude-Henry connaît la ville pour y avoir organisé trois ans plus tôt un « marathon artistique », une découverte de ses œuvres au travers d’un parcours dans les commerces du centre-ville. La balade, qu’il a lui-même élaborée, débute sur les quais au Café de la Mairie, se poursuit en 14 étapes, via un chausseur, un boucher ou un disquaire... pour s’achever au Verre d’O, un bar-restaurant du port.

    Face aux journalistes venus couvrir le lancement, le peintre, devenu aussi organisateur d’événements, multiplie les annonces farfelues. Il promet d’offrir un porte-clefs aux marathoniens arrivés en fin de parcours. Il propose aux participants de raconter une petite histoire dans un livre d’or laissé au restaurant Le Samovar, qu’il s’engage ensuite à illustrer. C’est convivial et chaleureux, ça exieg une immense dépense d’énergie, mais ça marche. Il appelle, rapporte Guy Mouisse, dans La Marseillaise, les artistes de La Seyne, et il y en a beaucoup, à faire comme lui : « Allez trouver votre boulanger, votre coiffeur, votre boucher et exposez. »

  • Ses nuits avec les œuvres de ses potes

    Il se lie rapidement avec la dizaine de peintres et plasticiens du « Hangar des artistes », un collectif installé dans l’ancienne menuiserie des chantiers navals. Dans ce vaste atelier de 1 400 m2, l’homme venu de l’industrieuse Belgique se trouve à nouveau dans un environnement dédié au travail, bâti en briques nues, garni de poutres métalliques et d’escaliers en serpentin.

    Il détonne un peu, lui le doyen venu des brumes septentrionales, face à ce groupe de trentenaires varois. Eux, ils jouent du chalumeau, du marteau et de l’enclume pour façonner d’improbables et parfois magnifiques sculptures. Il fréquente cependant l’atelier durant plusieurs mois et exposera par la suite, comme plusieurs d’entre eux (Christian Cébé, Jean-Louis Masson, Cyrille Laurent, Denis Herbillon, Gilbert Giraud), à la Maison du Cygne, le centre culturel de Six-Fours-les-Plages, la municipalité voisine.

    Claude-Henry noue une profonde amitié avec l’aîné de la bande, Denis Herbillon. Ce grand échalas taiseux, lui aussi venu du nord, est un peintre du loufoque, qui glisse des vaches ludiques dans des scènes provençales. Les deux amis s’échangent plusieurs tableaux. Claude-Henry les installe dans sa chambre, pièce où n’entre aucune de ses propres œuvres. Ses nuits sont exclusivement réservées aux toiles de ses amis. C'est avec regret qu'il verra plus tard son ami repartir pour Troyes, sa ville natale.

    Il se lie également avec un autre artiste venu de Troyes, l’obstiné François Disle, qui couche des scènes de foules - composées de personnages rondouillards, de femmes à la poitrine voluptueuse ou d’animaux domestiques - sur tous les supports imaginables : valises, extincteurs, cendriers, arrosoirs, casques de moto, etc. Il offre notamment à Claude-Henry un écran de projection enroulable, méticuleusement couvert de petits baigneurs.

  • Divine inspiration

    Durant la période du Hangar des artistes, Claude-Henry peint « Mobilier urbain avec drapeaux ». Cette œuvre représente une vue délirante du port de La Seyne, comprenant un panorama de la rade, cerclé du relief accidenté des Monts toulonnais et surmonté d’un ciel bleu profond strié de nuages menaçants. Le port, représenté par les traits blancs des bateaux vus du ciel, précède un arrière-pays de damiers. Le tableau est coupé en trois, avec un partie centrale décalée, comme une clef de voûte destinée à tenir toute la composition du paysage.

    Ce tableau connaît lui aussi un destin stupéfiant. Acquis par la municipalité, au travers de la donation de la famille, il est aujourd’hui installé dans la salle du Conseil municipal, un endroit que l’ex-architecte d’intérieur, amoureux du bois, aurait certainement adoré. La salle est élégamment lambrissée de lattes de bois qui marquent, au bout de la pièce, une forte ondulation, rappelant la houle qui agite le grand large. L’installation de ce tableau à cet endroit précis place curieusement le sujet de l'œuvre et sa représentation en vis-à-vis. À gauche, les conseillers aperçoivent le port et la rade au travers d'une large baie vitrée. À droite, ils peuvent contempler, accrochée au mur, la traduction délirante de ce panorama.

    Il a y une certaine ironie à relever que « Mobilier urbain » date de 1995. À cette époque, le peintre, isolé et démuni, se réchauffait l’âme avec ses représentations fantasques et colorées d’un monde qui semblait lui tourner le dos. Par une curieuse pirouette du destin, ce tableau est maintenant installé au cœur du pouvoir municipal, dans la salle du Conseil, où il insuffle, on l’espère, aux délibérations une divine inspiration.

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    Chantier naval, huile sur isorel
  • Il existe deux versions de « Mobilier urbain », l’une avec drapeaux, l’autre sans. Ils donnent suite l’année suivante à une série de quatre « Chantiers navals », issus de la même inspiration, mais sur la base d'une composition assagie. L’une des quatre œuvres sera présentée à l’exposition de la Villa Tamaris en 2014. Elle figure  d'ailleurs en couverture du catalogue d’exposition et rejoint ensuite la collection du Centre d’Art. Les trois autres seront acquises par des particuliers, dont Valérie Daumas, médecin et peintre, et Stéphane Couvret, collectionneur d’art qui détient une importante collection de Pollet.


    Crédits photos

    Bleu avec drapeaux, Sans titre : Cyrus Pâques​

    Chantier naval : JF Pollet

À gauche, la Rade. A droite, la vision délirante de la Rade. Et au centre, le pouvoir, La Seyne-sur-Mer, 1996