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« À la fonderie, j’avais la place dite "du couillon", la plus dangereuse, face à la coulée de métal en fusion. »
Claude Pollet naît le 28 novembre 1933 à Bruyelle, en Wallonie picarde, à 5 kilomètres de la frontière française. Il est le deuxième d’une famille de six enfants. Sa mère est institutrice, son père, droguiste et artiste-peintre.
Il a six ans, au début de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque son village est le théâtre d’une violente bataille. Des unités écossaises solidement retranchées mènent une action de retardement pour protéger le rembarquement de Dunkerque.
Évacuée par la gendarmerie, la famille entame une course folle qui la conduit jusqu’en Grande-Bretagne. Installée dans un moulin de la lointaine banlieue de Londres, la fratrie passe, semble-t-il, cinq années paisibles.
Le jeune Claude rentre d’exil à onze ans, parfait bilingue. Il cultivera son don des langues toute sa vie. Il parle parfaitement le français, l'anglais et le néerlandais, se débrouille en norvégien et en espagnol, étudie des rudiments de chinois... Il s’initie même, avec un ami, au danois au cours des derniers mois de sa vie. Son goût des langues, des mots et des lettres bien tracées charpente une partie de son œuvre. Elle comprend de nombreuses calligraphies en français ou dans des langues imaginaires, d’inspiration latine ou orientale.
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Le pôle Nord et les nouveaux horizons
De retour en Belgique, Claude Pollet - « Claude-Henry » est un (pré)nom d'artiste - étudie l'architecture d'intérieur à l'Institut Saint-Luc de Tournai, dans le Hainaut, puis à l'Institut supérieur Saint-Luc de Bruxelles, qui par ailleurs, a formé de très nombreux bédéistes.
En 1955, grâce à une bourse d'études, il part un an pour l'École nationale des arts d'Oslo, en Norvège (Kunsthøgskolen i Oslo, KHiO).
Cette expérience, qui s’apparente à un Erasmus avant la lettre, le marque profondément. Il développe son goût pour l’esthétique nordique, s’empare des élégantes compositions épurées du Bauhaus, partage l’obstination des peintres scandinaves à tirer le meilleur parti de la lumière si rare sous ces latitudes.
À Oslo, il rencontre un autre artiste belge, Jean-Paul Laenen, avec qui il reste lié toute sa vie. Pour arrondir ses fins de mois, il travaille sur les docks, place quelques dessins dans la presse locale et réalise un reportage pour l'hebdomadaire belge Moustique, chez les Lapons du Grand Nord (aujourd’hui on dit les Samis).
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Fondeur
Il se marie à Bruyelle (Belgique), le 27 janvier 1958 avec Paulette Verger, une jolie Française rencontrée durant les vacances, avec qui il aura un fils, Jean-François. Le couple s'installe à Bruxelles. L’année suivante, Claude-Henry entre à la Fonderie nationale des bronzes de la rue Stephenson, dans le nord de Bruxelles. Il en prend la direction quelques mois plus tard.
Le travail de fondeur lui convient parfaitement, bien qu’il soit éreintant et parfois dangereux lorsqu’il faut guider les coulées de métal en fusion. « La place que je tenais face au chaudron était surnommée la place du couillon, explique-t-il, car le moindre morceau de métal mal fondu pouvait gicler et causer de sévères brûlures. »
Il travaille avec Frédéric et Joris Minne, fils du célèbre sculpteur Georges Minne, doyen d’une dynastie de fondeurs.
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Légende
Quatre images pour comprendre comment éditer un bronze à la cire perdue. Un sarcophage est installé autour de la sculpture réalisée en cire. Le bronze en fusion, introduit en haut du sarcophage, fait fondre la cire qu’il remplace. Claude-Henry (à gauche) procède à un premier nettoyage avant démoulage complet. -
En une dizaine d’années, il édite les travaux de 415 sculpteurs contemporains. Il rencontre les sculpteurs Ossip Zadkine et César. Pour ce dernier, il coule deux « Pouces » de 60 cm. Des « Pouces » bleutés et brillants comme de l’acier, obtenus par une méthode de coloration qu’il a mise au point.
Un sombre week-end de 1967, la fonderie est détruite par un incendie parti d'un atelier d'artiste attenant au bâtiment. La fonderie n’est pas reconstruite. Claude-Henry se tourne vers l’architecture d’intérieur.
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Coloriste marqué par le Nord
En 1977, il s’installe à Mouscron, ville belge jumelle de Tourcoing en France, puis à Lille, où il peint et dessine à un rythme soutenu. À l'instar de Serge Poliakoff, dont il revendique l’influence, il compose des assemblages de figures complexes qu’il crayonne longuement avant de passer au travail chromatique. Sa formation d’architecte et son ancien métier de fondeur le poussent à travailler des formes très structurées, qu’il rehausse ensuite de couleurs sombres et profondes conformes à son inspiration nordique.
Ses recherches centrées sur l’assemblage des formes et l’assortiment des couleurs le poussent à se présenter comme coloriste, et non comme peintre.
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Légende
Boston, triptyque, huile sur isorel, 91*110 cm (chaque panneau, cadre compris), 1978 -
Le coloriste aime se présenter comme un peintre alternatif, proche du milieu associatif, féru de cette économie sociale qui émerge après-guerre. Il trouve dans le mouvement des scopes (les coopératives) un militantisme de terrain, un engagement fondé sur l’égalité et l’utilité sociale. Il expose dans des restaurants solidaires ou des théâtres, rêve de monter une coopérative de peintres qui parviendrait à salarier ses artistes. Il a les yeux rivés sur Berlin et ses 10 000 ateliers alternatifs qui produisent de tout : pains, mobilier, boissons, prodiguant même des soins de santé.
Il voit juste : le mouvement coopératif avait l'avenir devant lui. Alors qu'il représentait 6 % des créations de richesses en 1980, il pèse aujourd’hui 10 % du PIB de l’Hexagone et fournit 13 % des emplois (12 % en Belgique).
En 1980, l’expérience des travailleurs de Lip à Besançon, ces ouvriers injustement licenciés qui ont vaillamment racheté et redressé leur usine de montres, a galvanisé les ambitions autogestionnaires. À Lille, une poignée de marginaux lancent leurs premières expériences dans le vieux quartier du centre-ville.
Claude-Henry est de la partie, il accompagne les créations d’une menuiserie, d’un cinéma d’art et d’essai, d’un groupement d’achat et d’un comptoir de thé. Au P’tit Saint-Thomas, un café-théâtre de la vieille ville, il expose douze tableaux, dont le triptyque « Boston ». Cet ensemble présente des tableaux ténébreux, composés de formes rouges et noires qui s’articulent autour d’un socle blanc. Il considère cette œuvre comme un premier aboutissement de son parcours artistique.
Crédits photos
La Grande Sauterelle, Claude-Henry Pollet sur départ pour Oslo, Pouce bleu : D.R.
Étude pour graphe, Boston : Cyrus Pâques
Quatre images cire perdue : Willy Kessels